Le compte-rendu critique de lecture
发布时间: 2018-07-03 浏览次数: 323



Avant-propos :

  

Le cours d’écriture pour les étudiants-chercheurs de 1ère année de Master est clairement orienté vers des objectifs universitaires visant la maîtrise des méthodes de types de productions spécifiques et d’une expression en français académique.

Une partie importante du cours et le projet de fin de semestre des étudiants étaient consacrés à l’écriture d’un compte-rendu critique de lecture, exercice prépondérant de la recherche académique et qui constitue souvent les premières publications pour les jeunes chercheurs.

Après un travail minutieux de préparation à partir d’exemples authentiques issus de sites spécialisés en sciences humaines et sociales (http://lectures.revues.org/; http://www.fabula.org/acta/), les étudiants devaient choisir une publication académique récente dans leur spécialité (ouvrage monographique ou collectif, numéro thématique de revue ou actes de colloque), la lire exhaustivement et en faire le compte-rendu critique (d’une longueur de 5000 à 10000 signes) en respectant la méthode, les normes et le style de ce type de production universitaire.

  

Plus bas vous trouverez quelques exemples de comptes-rendus des étudiants.

  

  

  

Julien Guillemet

Lecteur de français, SISU, 2017-2018.

  


  

Compte-rendu de MA Lingyang

  

BOISSEAU Maryvonne, FROELIGER Nicolas, et al, « Traduction et interprétation face aux défis actuel » [en ligne], Revue française de linguistique appliquée, Pub. Linguistiques, janvier 2016, vol. XXI, 124p., ISSN : 1386-1204. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-linguistique-appliquee-2016-1.htm.

LaRevue française de linguistique appliquée(RFLA) a consacré un numéro qui a pour thème « Traduction et interprétation face aux défis actuels » en janvier 2016. Au travers des thèmes spécifiques de la linguistique appliquée à destination d’un public diversifié, elle s’efforce d’aborder les applications impliquant le support de la langue et un rapport à la linguistique. Ainsi, la RFLA ne se spécialise pas dans le domaine de la traduction et de l’interprétation, mais y consacre régulièrement des numéros de cette thématique[1].

Le présent numéro vise à montrer les défis et les questions auxquels se confrontent les traducteurs et les interprètes avec le développement de la société et de l’intelligence artificielle. Les échanges au niveau national et international s’accélèrent de nos jours, à tel point que les besoins des traducteurs et des interprètes augmentent dans de divers domaines (financier, juridique, administratif, etc.), ce qui leur procure des opportunités mais aussi les met devant des défis. De plus, avec l’arrivée d’outils informatiques performants, le métier a évolué en demandant des changements auprès des traducteurs et des interprètes. De ce fait, des études de la traduction et de l’interprétation dans le contexte actuel s’avèrent nécessaires et importantes. Ce sujet a déjà fait l’objet de plusieurs colloques et conférences[2]. D’ailleurs, des ouvrages et des revues portant sur les nouveaux besoins du métier ont vu le jour, mais souvent centrés sur un domaine particulier[3].

Réunissant 7 articles basés sur des expériences ou des recherches des auteurs, ce numéro nous donne un aperçu des défis actuels dans plusieurs domaines sur le plan théorique et pratique.

  

Les trois premiers articles ont une orientation théorique. Dans cette partie, il existe des difficultés de compréhension dans une certaine mesure dues aux termes spécialisés. Pourtant, les plans clairs et bien organisés facilitent la saisie de la pensée des auteurs.

Dans le premier article « De la traductologie aux sciences de la traduction ? » (p.9), Maryvonne Boisseau « examine les contours de la traductologie telle qu’elle se diversifie aujourd’hui » (p.5). D’abord, l’auteur analyse les caractéristiques du paysage traductologique en s’interrogeant sur la circulation des esprits et des courants de pensées. La multiplication des thématiques littéraires distingue le statut de la littérature dans la traductologie, mais il est à noter que celle-ci embrasse aussi les dimensions linguistique, philosophique et socio-culturelle. Vu l’augmentation des besoins de la traduction des textes pragmatiques et l’émergence des outils informatiques tels que les mémoires de traduction[4], l’auteur estime qu’il est nécessaire de renforcer la formation des traducteurs et des interprètes tout en s’inspirant d’une nouvelle orientation de la traductologie, soit la traductologie pragmatique. Même en tant qu’une discipline assez jeune, la traductologie est aujourd’hui en mesure de « s’institutionnaliser » (p.5). Selon l’auteur, cette nouvelle voie pourrait contribuer à la transformation de la traductologie en sciences de la traduction en suscitant des réflexions sous des horizons différents.

Les deux articles suivants mettent en perspective les opérations sous-jacentes à la traduction et à l’interprétation. Nicolas Froeliger s’efforce de trouver comment réduire la dépense cognitive au cours du processus de la traduction dans le deuxième article « La paresse en traduction : pour un procès en réhabilitation » (p.23). En s’appuyant sur un petit corpus extrait de la mémoire de traduction d’une entreprise et l’étude du rapport entre terminologie et traduction, l’auteur formule deux hypothèses sous l’appellation de paresse : 1) la reformulation peut apparaître en amont ou en aval de la traduction interlinguistique et 2) notre cerveau « arbitre entre dépenses cognitives forte et faible » (p.28) dans ce processus. Il construit ensuite un modèle en divisant l’opération de traduction en trois phases : traduction intralinguistique, puis interlinguistique et de nouveau intralinguistique. Pour valider les hypothèses, l’auteur a recours aux apports traductologiques et cognitifs. Il constate que le modèle qui a pour nom pré- et post-édition s’applique souvent à la traduction automatique. D’après l’auteur, le mot paresse n’est pas péjoratif, au contraire, il implique que l’on peut bien profiter de l’automatisation partielle des tâches pour se concentrer mieux sur les tâches demandant plus de soins et de précision. Le troisième article « L’acte de parole de l’interprète : durée, devenir et finitude » (p.39), rédigé par Benoît Kremer et Claudia Lucia Mejía Quijano, analyse l’interprétation en tant qu’un acte de parole, notion proposée par Ferdinand de Saussure. Les auteurs se positionnent autour des particularités de la situation d’interprétation. Afin de bien comprendre et réexprimer le vouloir-dire de l’orateur, l’interprète, qui joue un double rôle (récepteur et émetteur d’un acte de parole) doit saisir les indices pertinents pour le sens en s’appuyant sur la cohérence et la redondance. A travers une comparaison entre interprétation et traduction, les auteurs soulignent l’unicité de celle-là en raison du devenir et de la finitude de l’acte de parole.

  

Les quatre derniers articles traitent la thématique sur le plan pratique. A l’aide de figures et de tableaux, les articles basés sur des expériences personnelles ou des exemples concrets sont agréables à lire et confortent la compréhension.

Le quatrième et cinquième article s’attachent à montrer l’évolution du secteur de la traduction avec l’arrivée des nouvelles technologies. Dans « La traduction au sein des institutions européennes » (p.53), Thierry Fontenelle, qui travaille dans le Centre de traduction des organes de l’Union européenne, présente les services de traduction des institutions européennes que nécessite l’application du multilinguisme (24 langues officielles). Pour répondre aux nouvelles demandes et alléger le travail des traducteurs, les institutions européennes ont mis en œuvre des outils informatiques[5] et le système de traduction automatique baptisé MT@EC. Or, selon l’auteur, cela constitue seulement un pré-traitement des documents et il conviendrait encore de les post-éditer. Outre ces nouveaux moyens, les nouveaux médias et Internet ont créé de nouveaux besoins en matière de traduction tels que la traduction d’un site web. Par conséquent, il est nécessaire d’adapter les traducteurs aux nouvelles demandes à travers des formations, de sorte qu’ils maîtrisent aussi bien les accessoires et les outils que les langues. Suit un article de Sandrine Peraldi (p.67) qui décrit une analyse comparative visant à mesurer l’efficacité d’une approche combinée TA[6] et TAO[7] par rapport à l’approche classique, traduction humaine et TAO. A la demande d’une société financière, l’auteur et un groupe d’étudiants de Master ont construit un système d’évaluation afin d’établir une typologie d’erreurs de la post-édition et de peser leur impact en termes de temps et de rentabilité. Enfin, l’auteur présente l’analyse des résultats de ce projet et la réflexion sur l’écart entre les résultats prévus et les résultats obtenus.

Le sixième article « L’interprétation juridique : surmonter une apparente complexité » (p.91), écrit par Christiane J. Driesen, contribue à « débusquer les principaux malentendus » (p.91) dans l’interprétation juridique en insistant sur l’unicité de ce métier. L’auteur se penche d’abord sur les sources des malentendus, à savoir : la limite du terme « interprétation juridique », la complexité des messages échangés au niveau des registres et des formats et la diversité des modes de communication. Malgré ces « hétérogénéités » (p.96), les tâches des interprètes juridiques, la déontologie qu’ils doivent respecter ainsi que les compétences requises sont similaires. L’auteur souligne aussi l’importance de la formation des interprètes juridiques dans ce contexte, même concernant les langues à faible diffusion.

Le dernier article (p.111), présenté par Purificación Meseguer Cutillas de l’Université de Murcia (Espagne) traite le problème de la traduction et de la propagande à partir d’une analyse dela traduction français-espagnol de Le Chaos et la Nuit de Henry de Montherlant sous le régime franquiste. L’auteur met l’accent plutôt sur les fins propagandistes de la traduction au lieu de se concentrer seulement sur les modifications imposées, ce qui représente un nouveau type de censure, « désigné comme ‘métacensure’ » (p.111).

  

Au fil des articles, ce numéro nous fournit une idée générale sur les nouveaux besoins et les questions dans les métiers de la traduction et de l’interprétation. Étant donné que la RFLA est une revue interdisciplinaire visant un public varié et publie des dossiers en 5 langues, ce numéro traite des sujets aussi divers que possible concernant 3 langues : le français, l’anglais et l’espagnol. En outre, le nombre des contributions du côté théorique et du côté pratique est relativement équilibré. Le formalisme académique de chaque article et les exemples concrets confortent la compréhension bien que tous ces sujets ne soient pas familiers pour tous. Même si le présent numéro n’épuise pas chaque sujet, les articles « constituent une invitation aux lecteurs à prolonger les pistes ainsi ouvertes selon leurs intérêts et les spécificités de leur environnement » (p.7). Néanmoins, on peut regretter que les contributions au sujet de l’interprétation soient moins nombreuses que celles concernant la traduction. En effet, la finitude et l’unicité de l’acte de parole rendent l’interprétation plus ou moins difficile par rapport à la traduction en ce sens. Il faudrait attacher de l’importance à l’étude de l’interprétation, un terrain relativement nouveau[8]. Il me semble aussi qu’il manque une conclusion générale redonnant cohérence à l’ensemble du propos. Les 7 articles se présentent en bloc sans se diviser en parties, donc c’est aux lecteurs de saisir la cohérence des textes. Une conclusion à la fin pourrait aider à approfondir la compréhension de cette thématique après avoir lu ce numéro.


Compte-rendu de WANG Fan

  

KAIL Michèle, L’acquisition de plusieurs langues, Paris, Presse Universitairede France, coll. « Que sais-je ? », 2015, 128p.

  


Appartenant à la collection «Que sais-je ? », L’acquisition de plusieurs langues constitue un ouvrage didactique consacréà l’introductiondes travauxacadémiques concernant le plurilinguisme,notamment le bilinguisme, ainsi que de leurs résultats obtenus. Spécialisée dans la psycholinguistique et l’acquisition des langues, Michèle Kail, autrice du livre, dirige le Laboratoire Cognition et développement à l’Université René-Descartes rattaché au CNRS (Centre national de recherche scientifique). La parution de cette œuvre se trouve dans la suite d’un autre livre de l’autrice intitulé L’acquisition du langage[9] qui s’intéresse davantage aux processus et mécanisme de l’acquisition de la langue maternelle chez les enfants et dont les principales théories servent de base théorique de ce livre.

A l’échelon mondial, les recherches psycholinguistiques à propos de l’acquisition langagière ont été depuis longtemps exclusivement centrées sur le monolinguisme. Ensuite, la prise de conscience de l’extension du bilinguisme, voire du plurilinguisme ainsi que l’inadaptabilité des résultats observés chez les monolingues au bilinguisme obligent les experts à s’engager dans des études réservées au bilinguisme. Cependant, il est à noter que les travaux àce sujet[10], appuyés pour la plupart sur ceux du monolinguisme et auxquels la complexité estinhérente, se montrent hétérogènes pour le moment.

Structuré en six chapitres, ce livre renseigne explicitement les lecteurs sur des connaissances simples et des hypothèses avancées ayant trait à l’acquisition des langues. En consacrant les deux premiers chapitres (p.7-p.38) à établir l’inventaire des notions élémentaires et communes dans le domaine de l’acquisition des langues, lautrice illustre concrètement deux phénomènes spéciaux et les plus exploités actuellement, l’un le bilinguisme simultané dans le chapitre 3 (p.38-p.62), et l’autre l’acquisition successive de deux langues dans le chapitre 4 (p.63-p.81). Quant aux deux derniers chapitres, il s’agit respectivement des conséquences cognitives du bilinguisme dans le chapitre 5 (p.82-p.108) et de son mécanisme cérébral dans le chapitre 6 (p.109-p.124). L’intention initiale d’introduire l’état de recherches dans le domaine de l’acquisition de plusieurs langues incite l’autrice à adopter un langage relativement compréhensible auquel s’ajoutent des termes propres et terminologiques en raison de la nature scientifique des études.

S’ouvrant sur un aperçu du phénomène de l’extension du plurilinguisme et de ses causes, l’introduction du premier chapitre se préoccupe de faire part de l’existence d’un paradoxe entre ce fait sociétal sensible et l’insuffisance des études spécialisées. L’autrice commence sa présentation systématique par définir et classifier les bilingues. En comparaison avec la définition traditionnelle du bilinguisme fondée sur la performance individuelle du locuteur,la définition récemment instituée par Grosjeaninsistesur « l’usage des langues sur une base journalière » (p.9), à quoi la plupart des experts et l’autrice elle-même sont favorables. Au cours de la catégorisation des bilingues suivant différents critères, sont révélées la multi-dimensionnalité etla nature dynamique du bilinguisme explicitée par Grosjean dans son concept « mode de langage » (p.12). A côté des théories préliminaires du bilinguisme susmentionnées, on procède pour terminer ce chapitre à la conceptualisation du niveau d’efficience langagière, en abordant trois courants théoriques de l’acquisition du langage—la conception formelle (p.17), la conception fonctionnaliste (p.18) et les approches socioculturelles (p.19).

Si le premier chapitre porte attention aux concepts et théories du bilinguisme, le chapitre suivant met l’accent sur quatre notions transversales dans toutes les formes de l’acquisition langagière—input, dominance d’une langue, apprentissage implicite et explicite, distance entre les langues. De même que, au niveau de l’input, le bilinguisme se caractérise par un déséquilibre respectif des deux langues, la compétence dans chacune des langues se montre peu comparable chez un même sujet bilingue, d’où selon Schlyter « la distinction entre la langue forte et la langue faible » (p.35). De plus, deux modèles de l’apprentissage ont été constatés chez les bilingues, l’un l’apprentissage explicite, l’autre l’apprentissage implicite. Selon l’autrice, tandis que les bilingues simultanés et précoces tendent à acquérir implicitement, les bilingues successifs et tardifs apprennent explicitement.

Le chapitre 3, intitulé « L’acquisition simultanée des langues » (p.39), s’attache au processus initial de l’acquisition simultanée de deux langues chez un enfant, que l’autrice divise en trois stades—perception, compréhension et production. Pareil à l’acquisition de deux langues maternelles, ce processus commence pendant la grossesse maternelle où s’élabore la préférence d’une langue.Et puis, dès l’apparition des capacités perceptives,les enfants sont de plus en plus sensibles aux contrastes phonétiques et prosodiques. Avec l’’explosion lexicale, ils finissent par s’approprier des compétences de production sous forme du babillage primitif et de l’alternance codique. Par surcroît, les interactions interlangues jouent un rôle permanent et incontournable durant ce processus, ce qui constitue son trait le plus distinctif par rapport au monolinguisme.

On aborde des thèsescontroversées dans les recherches du bilinguisme successif dans le chapitre4.Premièrement, est présentée la notion de « période critique » (p.64) empruntée à u l’embryologiepar le neurolinguiste Lenneberg. D’après l’autrice,il existe une discontinuité entre l’apprentissage dans cette période critique et celui hors de la période à cause de la réduction de la plasticité neuronale provenant de la clôture de cette période. Ayant raison de démontrer la corrélation négative entre l’âge d’acquisition et la réussite en L2 (langue seconde), cette conception s’attire des critiques en raison de son rejetde l’impact d’autres facteurs extralinguistiques sur la performance en L2. Ensuite, on prend en considération l’incidence de l’âge d’acquisition au regard du degré d’accent dans la langue non-native. Voilà un problème significatif dans le cadre des recherches sur la distinction entre l’acquisition précoce et l’acquisition tardive.

On distingue deux genres de conséquences cognitives du bilinguisme dans le chapitre5. D’une part, les recherches traditionnelles mettent au jour les déficits langagiers des bilingues caractérisés par une possession de moindre vocabulaire dans chacune des langues que les monolingues comme par l’imperfection dans la dénomination en L2 d’images, laquelle pourrait être expliquée par les interférences entre les langues. Cependant, cequi s’avère plus encourageant, c’est la réductibilité de ces écarts à l’aide de la haute fréquence d’utilisation et de l’exposition intense à la L2. D’autre part, les travaux récents dans ce domaine tournent leur regard vers les avantages individuels du bilinguisme qui se concrétisent par le développementdes habiletés métalinguistiques,l’amélioration du contrôle exécutif, l’ajournement du vieillissement tant cognitif que physique et donc le report de la survenue des symptômes de démence tels que la maladie d’Alzheimer. Dans ce sens, on a raison de comparer l’apprentissage d’une langue étrangère à une gymnastique intellectuelle. On conclut ce chapitre en faisantremarquer l’imprécision des recherches dans ce domaine en devenir et les directions inexplorées.

Dans le dernier chapitre, l’autrice procède aux analyses sur les bases cérébrales du bilinguisme par la problématisation telle que «comment le cerveau peut accueillir plusieurslangues ? », «enquoi le cerveau bilingue est-il différent du cerveau monolingue ? » et «comment le cerveau change-t-il dans ses structures et fonctions ? » (p.109). Les neurosciences cognitives avec des méthodes d’imagerie donnent appuià l’élaboration de la conception latéralisatrice,qui, à l’encontre de la théorie localisatrice traditionnelle, préconise le rôle de l’hémisphère droit chez les bilingues et confirme le rapport négatif entre l’âge et les activités neuronales durant l’acquisition langagière. S’agissant des changements structuraux, les observations sont focalisées sur la densité de la matière grise qui décroît avec le mûrissement physique.

Dans son ensemble, L’acquisition de plusieurs langues de Michèle Kail ressemble à un répertoire relativement complet et concis des théories cruciales sur l’acquisition de deux langues, ce qui exige à notre autrice des efforts assidus en phase de documentation. Sa contribution est d’autant plus grande que jusqu’ à aujourd’hui les ouvrages du genre sont vraiment rares[11]. Prenant du recul pour voir plus loin et se rendre plus objective, l’autrice s’efforce d’analyser les déficiences des études en acquisition des langues et d’apporter ses recommandations pertinentes. En ce qui concerne la structure globale, dans un ouvrage introductif, il est appréciable que l’on divise chaque chapitre en différentes parties assorties de sous-titres qui sont eux-mêmes le sujet qu’on abordera dans les paragraphes suivants, ce qui nous permet de saisir le plus vite possible aussi bien l’essentiel de chaque chapitre que les grandes lignes du livre. Il s’agit d’une organisation logique. Toutefois, on regretterait que, bien que l’autrice entende rendre accessible sa présentation d’une manière explicite à travers des structures morphosyntaxiques simples, l’utilisation des notions jargonnantes et abstraites, par exemple le potentiel de la neurologie (p.117) fait malheureusement obstacle à la lisibilité et la compréhensibilité du livre. Encore que la rigueur scientifique oblige leur citation, ilsemblerait plus convenable de donner des notes explicatives à ces notions. D’ailleurs, sous le titre L’acquisition de plusieurs langues, on pourrait reprocher la quasi-absence de l’introduction de l’acquisition de plus de deux langues dans ce livre centré uniquement sur le bilinguisme. Quel malentendu le titre suscite ! A vrai dire, ce livre de 128 pages est trop court pour rendre compte de toutes les notions et études en plurilinguisme, ce qui demande à l’autrice de sélectionner avec soin les plus importantes conceptions fondamentales dans cette discipline. Néanmoins, on note plusieurs répétitions concernant les analyses sur l’état de recherche que Mme Kail aurait pu rassembler dans une seule partie de l’introduction du livre. Pour conclure, cet ouvrage, fécond de l’introduction des résultats des travaux en bilinguisme mais peu profond en analyses théoriques, pourrait servir de référence concise pour les recherches de bilinguisme.


  

  


Compte-rendu de LUO Jia

  

LI Yuming (dir.), Études sur les politiques linguistiques en France et en Chine, Beijing, Commerce Press, 2014, 430 p., ISBN : 978-7-100-10663-4.

  

« Études sur les politiques linguistiques en France et en Chine » constitue les actes de colloque du « Séminaire sur les politiques linguistiques en France et en Chine », qui a été tenu à Pékin en septembre 2012 par le Ministère de l’Éducation et la Commission de la langue nationale. En 2010, lors d’une rencontre officielle en France, le président chinois Hu Jintao et le président Sarkozy ont projeté l’organisation d’une « année linguistique croisée franco-chinoise ». Étant le premier essai visant à favoriser la communication sino-française sur le thème politique linguistique, le séminaire fait partie des activités de cette initiative, qui permet aux chercheurs de deux pays d’échanger leurs connaissances et opinions du domaine. Deux ans plus tard, le deuxième séminaire, dont le thème concernait la traduction et la communication internationale, a été tenu à Paris et en 2016, le troisième séminaire, dont le thème portait sur le développement de la langue et la diversité culturelle, a été tenu à Pékin.

  

Cet ouvrage concerne le premier séminaire, qui a été dirigé par Li Yuming, professeur, membre permanent et secrétaire du Comité central de l’Université des langues et des cultures de Pékin. Spécialiste de la théorie linguistique, de la langue chinoise moderne et de la psycholinguistique, il a publié plusieurs œuvres telles que « Le développement de la langue des enfants », « La compréhension et la production de la langue » et « Une introduction à la linguistique ».

  

D’un point de vue général, dans le domaine de la linguistique, la recherche théorique occupe toujours une place prépondérante : la phonologie, l’étymologie et la syntaxe servent d’exemples. Différente de tout cela, la recherche sur les politiques linguistiques s’oriente vers l’application et la réalité. Dans la conjoncture actuelle où la Chine et la France ont toutes les deux une volonté similaire de défendre et promouvoir leur langue nationale, cet ouvrage constitue un effort pour la mise en application des recherche théoriques du domaine.

  

Cet ouvrage constitue une version écrite de communication au cours du premier séminaire, qui vise à réaliser des échanges sur la protection de la diversité linguistique, afin d’aboutir à un consensus sur la coopération potentielle entre les gouvernements et les cercles académiques de deux pays. Il contient dix-sept articles. Suivant chaque article se trouve sa version traduite, soit en français, soit en chinois. Les articles se divisent en deux parties : la première porte sur les politiques des deux pays visant à protéger la diversité linguistique, tandis que la seconde, en se concentrant sur l’enseignement des langues étrangères, présente la situation actuelle de la diffusion des langues, surtout celle de la langue chinoise.

  

La première partie du livre s’ouvre sur une introduction des politiques linguistiques chinoises et françaises à travers des dossiers législatifs, tout en soulignant leur contribution à la protection de la diversité linguistique. Faut-il protéger intentionnellement les langues ou juste « laisser faire » ? Faut-il contrôler des usages qui ne cessent pas d’évoluer ? Comment faire ? Ce sont ces politiques qui nous donnent les réponses. Dans « Le cadre constitutionnel et légal relatif à l’emploi de la langue française », M. Baldi nous présente de façon ordonnée les principes et le fondement juridique des politiques linguistiques françaises ainsi que leurs modalités d’application, les résultats et les défis actuels. Un article concernant le cas de la Chine est aussi proposé dans cette partie : Zhang Haoming explique la politique linguistique de la Chine, qui consiste à diffuser intensivement et à normaliser l’usage de la langue et de l’écriture commune nationale tout en protégeant de façon raisonnée la langue et l’écriture de chaque ethnie. Après ces introductions basiques, les chercheurs commencent à traiter deux aspects spécifiques de la langue chinoise. Dans l’article intitulé « La normalisation et la standardisation des langues de Chine », le chercheur Chen Zhangtai nous présente les différentes normes linguistiques élaborées dans la Chine nouvelle et établit un bilan des expériences acquises. Dans « Vision pour la recherche sur les dialectes chinois », par une analyse historique des recherches sur les dialectes chinois, Cao Zhiyun propose une approche appelée « recherche orientée problèmes » (p.365), en nous appelant à nous focaliser sur l’extérieur des langues, soit les utilisateurs des dialectes et la culture apportée par les dialectes, si bien que les fruits de la recherche permettent d’être au service de la société. Le troisième thème de la première partie concerne la protection de la diversité linguistique. Ici, à partir d’une présentation de la politique de l’écriture nationale et des politiques linguistiques chinoises, on accentue un concept appelé « primauté-diversité » (p.66) : l’État promeut le mandarin comme langue commune ainsi que la liberté de chaque minorité ethnique d’utiliser et de développer sa propre langue et ses propres caractères d’écriture. Ce constat est partagé par Xavier North et Xu Jun. M. North indique le « processus de valorisation » (p.184) de la diversité dans le monde où le développement des « langues fortes » (p.183) menace celui des « langues faibles » (p.184) et encourage la mise en place des politiques favorables pour la coexistence de deux sortes de langues. M. Xu, dans son article « Le plurilinguisme, la diversité culturelle et la mission de la traduction », montre que le pluralisme linguistique contribue à la préservation de la diversité culturelle et que les traducteurs doivent assumer leur responsabilité comme médiateurs de la culture avec un esprit ouvert dans la communication interculturelle.

  

La deuxième partie s’ouvre sur la diffusion des langues dont l’enseignement des langues étrangères constitue le moyen principal. Comment faire face aux influences de la modernité sur le français et le chinois pour favoriser leur diffusion? Ici, de nombreux articles tentent de répondre à cette question. La lecture de cette seconde partie s’ouvre sur un article de Xu Daming, intitulé « Le commerce linguistique : une stratégie internationale pour le développement pacifique de la Chine » (p.133). Cet article s’efforce de trouver un moyen pour réaliser la stratégie de « coexistence de langues diverses » et « d’harmonie dans la diversité » (p.133) et présente les concepts de « l’économie linguistique » et du « commerce linguistique », qui souligne la contribution de l’économie de marché au développement des langues « faibles ». Joël Bellassen et Guo Xi s’intéressent à la diffusion de la langue chinoise, surtout du mandarin, dans le monde entier. M. Bellassen traite le sujet sur le plan chronologique, en présentant l’histoire de la didactique du chinois en France, tandis que M. Guo analyse la situation actuelle de la diffusion du chinois en se basant sur ses parties prenantes (les Chinois à l’étranger, les communautés et les gouvernements) et résume les caractéristiques et les opportunités potentielles. Nous pouvons aussi trouver l’analyse du cas de la langue française dans deux articles, écrit respectivement par Cao Deming (p.250), qui nous présente l’histoire et les perspectives de l’enseignement du français en Chine et G.D. Véronique (p.329), qui se penche sur la relation entre la diffusion du français dans le monde et son enseignement. Selon lui, il est recommandé d’intégrer des éléments culturels à l’enseignement des langues, ce qui favorise ainsi la diffusion culturelle au cours de la diffusion des langues. Dans le dernier article, Bénédicte Madinier fait l’éloge de l’enrichissement de la langue et de l’amélioration de la qualité du langage administratif. Elle croit que ces initiatives parviennent à adapter la langue aux réalités contemporaines et aux besoins des citoyens.

  

Au total, ce livre nous présente un panorama général des politiques linguistiques chinoises et françaises, qui constitue un sujet d’actualité dans les milieux académiques, où la sociolinguistique attire une attention croissante en raison de sa valeur pratique. Même pour le grand public, le style et le contenu de l’ouvrage sont faciles à comprendre. Il s’agit ainsi d’un excellent ouvrage de base pour sensibiliser les débutants aux recherches sur les politiques linguistiques. Comme il s’agit du premier séminaire sur ce thème, ces actes constituent aussi un bon début de l’échange sino-français sur la politique linguistique. Dans les actes des séminaires prochains, nous pouvons voir que les discussions plus profondes et les accords plus concrets étaient réalisés. Néanmoins, comme les politiques publiques ont toujours un lien étroit avec les politiques linguistiques, on pourra reprocher à ce livre un manque d’analyse sur les relations entre les deux. On regrettera aussi que la notion de « traduction » ne soit pas pleinement exploitée : il n’y a qu’un article qui la mentionne. La formation des traducteurs professionnels, la réflexion sur la langue et la culture, la réception de la traduction constituent toutes des questions intéressantes à traiter dans les futurs séminaires. En effet, le lecteur aurait aimé davantage une discussion sur la perspective de la coopération franco-chinoise dans le domaine de la linguistique : il pourra s’agir de la traduction des ouvrages, de l’établissement des institutions d’enseignement et de l’échange des étudiants. De plus, l’analyse du sujet de l’éducation aurait permis d’aborder des discussions sur les éléments sociaux, car les politiques en cette matière ont toujours une relation étroite avec les agents sociaux, tels que le marché de travail, l’intégration sociale et professionnelle des jeunes et l’éducation continue. Malgré tous les manques susmentionnés, cet ouvrage, en contribuant aux études des politiques linguistiques d’aujourd’hui, reste quand même un livre constructif qui mérite plus d’attention (aucun compte-rendu déjà publié n’a été trouvé). La politique linguistique est déjà devenue un champ d’études populaire à l’échelle mondiale et ce livre apporte une contribution importante au développement de cette discipline en Chine.

  


Compte-rendu de OU Tanwenjun

  


Pageaux Daniel-Henri (dir.), « Le comparatisme en Chine », Revue de littérature comparée, Paris : Klincksieck, 2011/1(n°337), 128p., ISBN : 2252038098.

  

Organisé en 2008, le IXe congrès de l’Association chinoise de littérature comparée, ayant pour sujet le dialogue littéraire dans l’interaction multiculturelle, a réuni des spécialistes de littérature comparée venant de divers pays, dont Daniel-Henri Pageaux, à la fois professeur de littérature générale et comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle et codirecteur de Revue de littérature comparée. En tant qu’invité d’honneur de ce congrès, il était impressionné par la vivacité de la littérature comparée en Chine qui restait peu connue de la communauté internationale. Il s’est vu obligé de la faire connaître aux comparatistes internationaux. Alors M. Pageaux a rassemblé des chercheurs chinois, reconnus dans le domaine du comparatisme, de brosser un tableau général du comparatisme chinois dansRevue de littérature comparée.Ce faisant, cette revue est la première à consacrer spécialement un numéro entier aux études de la littérature comparée en Chine. Sous la direction de M. Pageaux, l’objectif principal du présent est de faire part aux comparatistes internationaux de la situation actuelle du comparatisme chinois. La publication se compose, outre l’introduction, de quatorze contributions de longueur inégale qui sont écrites en anglais ou traduites du chinois en français. Ces articles, destinés à un public averti, ont tous un style académique. Loin d’être regroupés dans l’ordre thématique, les articles de ce numéro traitent des sujets assez variés. Ce numéro s’ouvrant sur un examen général de la littérature comparée chinoise, aborde son origine et développement, scrute ses nouveaux champs de recherche et interroge son positionnement dans le monde.

  

Par un article introductif, Meng Hua, spécialiste en relations culturelles Chine-Occident et littérature française, et Zhang Yinde[12], membre du comité de rédaction de cette revue et maître de conférences dans l’Université de Paris III, cernent le contour de la littérature comparée à l’ère de la mondialisation. Dans ce monde où les échanges s’intensifient de jour en jour, la littérature chinoise a besoin de s’intégrer dans la littérature mondiale. L’article de Yue Daiyun dessine à grands traits les évolutions majeures de la littérature comparée en Chine depuis les années 1930. L’auteur met en avant le dialogue interculturel « d’égal à d’égal » (p.17). Elle préconise une vision multipolaire et réfute l’eurocentrisme. Pour elle, l’intérêt des échanges interculturels se porte sur « l’élévation réciproque » (p.13).

  

En ce qui concerne le point d’appui du comparatisme, la question se pose dans l’équilibre entre l’affinité et la diversité. Zhang Longxi propose d’adopter une perspective dialectique en analysant le discours des penseurs tels que Mencius et Héraclite. Il s’inscrit en faux contre l’opinion de François Jullien qui considère la Chine comme le total opposé de l’Occident. Il cite aussi la critique de Qian Zhongshu envers Hegel qui trouve le langage chinois peu à même de développer une pensée dialectique. En effet, l’idée de l’absolue dichotomie entre la Chine et l’Occident est en quelque sorte une manifestation de mépris, ce qui ignore la généralité entre les littératures et refuse toute comparabilité. Il ne faut pas transformer l’autre en la parfaite opposition de soi-même. Sinon, le désir de connaître les choses inconnues risque de devenir une sorte de narcissisme déformé et l’autre est camouflé par l’ombre que l’on projette sur lui. Prendre l’autre pour un miroir dans le but de se connaître n’est qu’un prétexte pour se mettre en supériorité. Chen Sihe[13] s’intéresse dans son travail aux relations littéraires entre la Chine et l’occident au XXᵉ siècle. Il n’est pas à nier que la littérature occidentale exerce une influence importante sur la modernisation de la littérature chinoise. Cependant, la littérature chinoise ne doit pas se complaire dans une place de récepteur.

  

Dans ce numéro, on présente aussi les divers champs de recherche de la littérature comparée en Chine : littérature et religion, médio-traductologie, poétique comparée, anthropologie littéraire, sinologie et littérature diasporique. Sun JinYao et Deng Yanyan entreprennent un article sur la christianisation de la cour des Ming du Sud en examinant de manière fouillée des documents historiques. L’article montre les échanges sino-occidentales sous l’impulsion des missionnaires. On retrouve dans l’article de Yan Huilin la présence de la religion, qui porte sur un tout autre contexte, puisqu’il s’agit de démontrer les liens entre la littérature chinoise et la religion tel que le Taoïsme et le Bouddhisme. De plus, prenant l’exemple du Dao de jing[14] traduit par James Legge, l’auteur recommande de puiser des nouvelles interprétations de classiques chinois en empruntant la perspective étrangère. Quant à la poétique comparée, Yan Shaodang explicite la genèse du waka[15] par l’analyse de sa sonorité et règle de formation. L’imitation du waka de la poésie classique chinoise est facilement constatée à l’aide d’illustrations explicites. Mais on remarque que le waka a aussi pour caractéristique intrinsèque les « mots-oreillers »[16] (p.65) qui donnent une allusion difficile à saisir. L’anthropologie littéraire est illustrée par l’article de Ye Shuxian. Celui-ci propose d’adopterdes méthodes de l’anthropologie telle que la « quadruple démonstration » (p.81) dans les études littéraires puisque la littérature chinoise est multiethnique. La méthode dite « quadruple démonstration »[17]prend pour source d’études les images et les objets d’Antiquité, les découvertes archéologiques, la tradition orale et les rites vivants. L’article de Rao Pengzi s’attache essentiellement à la littérature chinoise dans la communauté diasporique. S’appuyant sur les écrivains chinois d’outre-mer tel que Yan GeLin, il montre la porosité identitaire des écrivains émigrés.

  

Le dernier article rédigé par Chen Dun ne se veut pas une simple présentation du développement de l’enseignement de la littérature comparée en Chine. Il rappelle que le dispositif institutionnel et le programme pédagogique laissent encore à désirer. D’origine occidentale, la littérature comparée chinoise ne doit pas être une transplantation directe. L’auteur voit l’impératif de la sinisation de la littérature comparée.

  

Pour conclure, les articles réunis dans ce numéro ont pour point commun de baser le recherche sur plusieurs domaines d’études. Ainsi, ce recueil d’articles offre aux chercheurs du même domaine des pistes de réflexions intéressantes par des approches interdisciplinaires et multidimensionnelles. Avec une bibliographie riche et pertinente, cesarticles constituent un panorama qui permet même aux non-spécialistes de progresser pas à pas dans la connaissance sur le comparatisme chinois. Étant donné le fait que les articles sont tous écrits par des spécialistes venant de la Chine continentale, on regretterait l’absence de chercheurs d’autres régions telles que HongKong et Taïwan. On noterait aussi le manque d’interaction entre chaque article. Sans un fil conducteur apparent, ce numéro se contente d’aligner les études respectives de chaque auteur. On croirait que le directeur a eu mal à organiser leurs contacts. Il n’y avait pas de communication suffisante entre les auteurs avant la publication. Compte tenu de la limite de longueur de la revue, les auteurs ne peuvent pas tout étaler. Ce numéro ne donne qu’un aperçu de la littérature comparée en Chine. Pour aller plus loin, il vaudrait mieux se référer à leurs monographies telles que La Licorne et le DragondeYue Daiyun, La littérature comparée et l’imagologie de Meng Hua, Recueil des algues de Chen Sihe.


  


Compte-rendu de SHI Xiaoyu

  

Françoise Benhamou, Politique culturelle, fin de partie ou nouvelle saison ?, Paris, La Documentation Française, 2015.

  

La politique culturelle de la France s’invente durant les années Malraux avec la naissance du ministère de la Culture. Touchant à la fois aux domaines du social, de l’économie, de l’éducation et de la diplomatie, elle s’est aussi étendue aux collectivités locales et territoriales. C’est pourquoi la politique culturelle a des contenus mobiles et des frontières floues avec les autres politiques publiques. Comme le souligne Vincent Dubois, « c’est en vain que l’on en cherchait une définition précise dans les discours et les textes officiels. [...] La politique culturelle forme assurément un ensemble composite et flou[18] ». Depuis deux ou trois décennies, la mondialisation de la culture portée par les industries culturelles et la présence croissante de nouvelles technologies de l’information et de la communication sous l’influence de « la révolution numérique » (p. 8), ont bouleversé le paysage culturel français, ce qui rend la politique culturelle plus complexe. Comme le titre de ce livre nous interroge : « Politique culturelle, fin de partie ou nouvelle saison ? »

  

Françoise Benhamou, professeur de l’université Paris 13, spécialiste de l’économie de la culture, traite depuis longtemps de ces complexes sujets que l’actualité impose à sa réflexion scientifique : le droit d’auteur, le prix des œuvres, le prix unique du livre ou le prix du marché de l’art, le plus récemment, les implications du numérique sur le secteur culturel[19], qui sont tous des thèmes étroitement liés à la politique culturelle. Le changement du paysage culturel français au cours des dernières décennies multiplie des constats dressés au sujet des effets et des retombées générées par les politiques culturelles. Les constats parfois contradictoires sur la portée de celles-ci suscitent des réflexions et des débats pouvant conduire à des choix stratégiques ou des orientations, voire pouvant soutenir l’élaboration de recommandations s’adressant aux décideurs publics. Cet œuvre, rassemblant les sujets que l’auteure a déjà traités, répond à des questions principales qui alimentent le débat sur les enjeux sous-jacents aux actions et aux politiques publiques en culture. Dans ce livre, l’auteure explore de façon approfondie le fonctionnement du ministère de la Culture et pointe les questions des priorités, pour en déduire l’organisation de la politique culturelle et revisiter la relation entre le ministère et les nouveaux acteurs de la culture.

  

Cet ouvrage, constitué de six chapitres, pourrait être divisé en deux grandes parties. En premier lieu, les chapitres 1 à 5 portent sur l’analyse du rôle du ministère de la Culture et la nécessité de la réforme de l’objectif de la politique culturelle. Confrontée aux révolutions de la mondialisation, de la numérisation et de la révision des relations entre sphère économique publique et secteur privé, la politique culturelle doit être remise en cause pour s’articuler avec une politique territoriale et européenne, renouveler l’organisation du ministère et mieux remplir sa mission de décentralisation. Ensuite, le dernier chapitre tente de dessiner quelques pistes de changement pour répondre aux défis actuels au cours de la mise en pratique des actions publiques en matière culturelle.

  

Le chapitre 1 s’ouvre sur la question de la défense de l’exception culturelle française, qui est actuellement menacée par la mondialisation et l’uniformisation au niveau international, et le pauvre investissement dans la culture de l’Europe. Afin de renforcer l’attractivité de la culture, il faut avant tout améliorer la qualité des productions culturelles, alors que la retombée économique, apportée par les festivals et le tourisme, ne peut pas servir comme seule justification de l’effort en faveur de la culture. Quant au paysage national, il existe des déséquilibres du dynamisme culturel entre Paris et d’autres villes. Aussi, la compétence culturelle des départements est assez vague par rapport à celle de l’État. L’auteure suggère, par son analyse, une reconstruction du paysage institutionnel pour assurer une harmonisation des choix publics dans les collectivités locales.

Ce sont les deux buts, l’adaptation de la politique culturelle au monde numérique et l’aide au monde physique, qui sont abordés dans le chapitre 2. Le développement d’Internet transforme les modes de consommation et de recommandation, et il offre au public un accès formidable aux œuvres et à la source de partage. Une convergence des différents médias et contenus est réalisée : il est désormais possible de lire un journal ou un livre, de visionner un film, et de regarder la télévision sur un même portable. De ce fait, la séparation entre politique du livre, du cinéma et de la musique est démodée. Sous la menace du numérique, surtout celle de l’abonnement illimité au livre et au film sur Internet, il est nécessaire d’offrir des aides à la production, distribution et diffusion des œuvres cinématographiques et audiovisuelles pour que les œuvres françaises obtiennent une meilleure résistance à la concurrence internationale.

Dans le chapitre 3, l’auteure évalue l’importance du soutien à la création, afin de construire un régime de protection sociale pour les artistes et les techniciens des secteurs de l’audiovisuel et du spectacle vivant. Le soutien à la création, d’un côté, consiste à défendre le droit d’auteur, surtout la lutte contre le piratage : « l’urgence est de troquer la poursuite sans fin des pirates d’un jour par la sanction la plus sévère des plateformes illégales » (p. 70), tout en renforçant l’attractivité de l’offre légale. D’un autre côté, diverses aides ne manquent pas, mais la mission principale est de concilier et hiérarchiser ces aides en assurant la démocratisation de la culture. Un nouveau modèle de financement, le financement participatif, qui se tisse entre les individus et la culture et encourage plus de participation publique, est aussi recommandé. Pour conclure, la politique publique fixe des règles du jeu, pour le reste, on laisse à la socio-économie de la multitude, le soin de créer, partager et bâtir les œuvres culturelles.

Le chapitre 4 porte sur l’objectif de démocratisation de la culture du côté des industries culturelles. La politique culturelle aspire à servir tous les publics mais la consommation de la culture reste pour l’essentiel terriblement élitiste. La quête de nouveaux publics demeure donc un objectif central de la politique publique. Selon l’auteure, varier le prix selon les publics et les moments de la visite, et encourager le développement de l’économie de recommandation sur Internet sont des solutions possibles.

Le chapitre 5, intitulé « Gérer le court terme…mais penser le temps long de la culture », tente de répondre à la question : comment traiter la tension entre les mesures de court terme et le développement durable, particulièrement dans le champ des musées et du patrimoine ? L’auteure met l’accent sur le rôle des établissements. Il faut donc leur donner plus d’autonomie et les inciter à la diversification de leurs ressources propres. Pour la protection et la valorisation du patrimoine, elle souligne l’importance de concilier les missions de découvrir, conserver et permettre l’accès des publics, pour lesquelles la numérisation des œuvres est un outil essentiel.

  

Dans le dernier chapitre, visant à adapter à un paysage en plein bouleversement, l’auteure donne des propositions pour la politique culturelle de l’avenir. Il faut d’abord réinventer les relations privé-public au sujet de mécénat. Pour mener une politique plus autonome, il est nécessaire d’alléger la gouvernance et redonner la politique culturelle à ses collectivités locales pour favoriser une dynamique régionale. Quant au ministère, il ne s’agit pas de se cantonner à la réforme du ministère de la Culture lui-même, mais aussi de renforcer la coopération entre ministères en défendant les relations culture-économie et culture-éducation. À l’heure de la mondialisation des échanges culturels, la culture est en tout cas le meilleur moyen pour remplir la mission de gagner une place avantageuse dans le combat de la préservation des langues.

  

Ce livre est publié par La Documentation Française dans sa collection « Doc’en Poche », série « place au débat », qui a pour objectif d’offrir une analyse pour éclairer les débats de société à la portée de tous. Françoise Benhamou donne au grand public, de manière claire et simple, les clés du débat dans le domaine de la politique culturelle comme les éléments d’actualité pour s’en saisir. Cependant, on peut regretter l’absence de la problématique relative aux questions d’emploi, en d’autres termes, les questions des modes d’organisation des activités professionnelles culturelles et artistiques. Le développement du numérique détruit certains emplois traditionnels mais en même temps crée de nouvelles positions. Dans ce cas, des questions, par exemple, si les emplois créés compensent les emplois détruits et si les uns sont des substituts des autres, restent à répondre. On aurait pu encore s’interroger sur les effets divers des régimes d’emploi-chômage des professionnels du secteur sur les actions culturelles. Si ces questions sont mises en lumière, il est plus possible d’approcher l’objectif de réduire le chômage dans le secteur culturel et répondre aux besoins des artistes confrontés à une nouvelle situation. Par la diversité des domaines culturels dont il rend compte, cet ouvrage constitue toutefois une inspiration importante pour les praticiens de l’action culturelle et incite à la réflexion du public.

  

  

  

  



[1] Numéros de la RFLA au sujet de la traduction ou de l’interprétation : GRECIANO Philippe, HUMBLEY John, et al, « Langue et droit : terminologie et traduction », janvier 2011, Vol. XVI, 138p. ; BOISSEAU Maryvonne, CHUQUET Hélène, et al, « Linguistique et traduction », janvier 2009, Vol. XIV, 138p. ; BOITET Christian, NOBLE Philippe, et al, « La traduction aujourd’hui : théories et pratiques », février 2003, Vol. VIII, 140p.

[2] 1) En 2013, le forum de la Conférence internationale permanente d’Instituts universitaires de traducteurs et interprètes (CIUTI) est axé sur les défis du monde actuel et le rôle que l’interprétation et la traduction peuvent jouer pour faire face à ces enjeux. Citons des actes de cette conférence publiés (FORSTNER Martin, et al, 2013) : EGOROVA Olga, « Present and Future Translation and Interpreting Training in Central Asia and Russia » ; JIMÉNEZ MARÍN Juan Carlos, « Le Multilinguisme - un droit démocratique ». 2) En 2014, la Conférence de traduction et d’interprétation, organisée par le bureau parisien de la DG Traduction de la Commission européenne, aborde quatre thèmes parmi lesquels figurent « Professions en évolution : nouvelles technologies, nouveaux profils et défis en découlant pour la formation ».

[3] RAGUET Christine, « Quand les sens font sens : traduire le ‘texte’ filmique », Palimpsestes, Presses Sorbonne Nouvelle, 2017, No.30, 191p. ; CRONIN Michael, Translation in the Digital Age, London : Routledge, 2013, 176p. ; BOCQUET Claude, La traduction juridique : fondement et méthode, Collection Traducto, Bruxelles : De Boeck, 2008, 122p.

[4] Une mémoire de traduction est une base de données contenant des segments de texte ainsi que l'équivalent de ces segments dans une autre langue. Elle permet de stocker des segments de phrase et de les réutiliser.

[5] Les institutions européennes ont construit une base de données centrale Euramis en partageant les mémoires de traduction entre elles ainsi qu’une base de données terminologique multilingue IATE. Il s’agit d’indiquer respectivement au traducteur « comment une unité terminologique a été traduite dans le passé et comment elle devrait être traduite dans les traductions futures ». (p.57)

[6] Traduction automatique (post-édition brute)

[7] Traduction assistée par ordinateur (post-édition évoluée)

[8] La réflexion systématique sur l'interprétation a commencé vers les années 1950, se basant sur l’expérience personnelle d’un petit nombre d’interprètes. « Dès les années 1960, Danica Seleskovitch faisait œuvre de pionnière en conférant à la recherche sur l’interprétation une autonomie propre » (p.39) et a jeté une base solide pour la théorie interprétative.

[9] Michèle Kail, L’acquisition du langage, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2012.

[10] De Groot A.M.B., Language and Cognition in Bilinguals and Monolinguals, New York, Psychology Press, 2011.

[11] Les ouvrages introductifs du bilinguisme comme :

Bialystok E., Bilingualism in Developement: Language, Literacy and Cognition, New York, Cambridge University Press, 2001.

Kroll J., de Groot A.M.B.eds., Handbook of Bilingualism:Psycholinguistic Approches, New York, Oxford University Press, 2005.

[12]Zhang Yinde, co-responsable de l’Equipe de recherche « Littérature et Extrême-Orient » ( CERC Paris III et CRCL Paris IV ).

[13]Chen Sihe, professeur de l’Université de FuDan.

[14]Dao de jing, ouvrage classique chinois écrit par le fondateur du taoïsme, Laozi.

[15]Waka, genre de poésie japonaise.

[16]Mots-oreilles, épithètes à caractère figé.

[17]Ye Shuxian, La quatrième preuve, Critique littéraire, nº5, 2006, p.172-179.

[18] Dubois Vincent, La Politique culturelle. Genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, Belin, 1999, p.7-8.

[19] Avec Joëlle Frachy : Droit d’auteur et copyright, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2007 ; L’économie de la culture, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2011 ; Le livre à l’heure numérique : papier, écrans, vers de nouveaux vagabondages, Paris, Le Seuil, 2014.